Quels enjeux écologiques et sociaux ?
Ce mercredi 29 janvier 2020, j’étais invitée par l’asbl Kreativa à une matinée-rencontre une soixantaine de jeunes en dernière année d’humanité animée par Monsieur Philippe Meirieu, Professeur Émerite Lyon II, Chercheur, Essayiste, Homme Politique Français, Spécialiste des Sciences de l’Éducation et de la Pédagogie. Le thème de la matinée était : « L’éducation émancipatrice une réponse forte et juste face aux bouleversements écologiques et sociaux du 21e siècle… ou une utopie de plus, permettant de se donner une bonne conscience dans la construction du monde de demain ».
L’objectif de cet événement était de faire réfléchir les jeunes à leurs choix de vie :
D’une part, leurs choix en terme consommations : viande, soda, internet, et ce que cela implique au niveau du tri des déchets. Avec, en corollaire, l’effet papillon.
D’autre part, leurs choix en ce qui concerne leur mode d(interaction sociale : coopération versus compétition. Introduire plus de coopération dans les relations humaines contribue pour une large part au bonheur.
L'infantile, c'est quoi?
Au début, avant la naissance, l’être humain dispose de tout ce dont il a besoin en abondance. Il est « nourri, logé, blanchi ». Il nage littéralement dedans. Après la naissance, les choses se corsent. Les besoins du nourrisson sont toujours les mêmes : être « nourri, logé, blanchi ». Cependant, tout ne se trouve pas à disposition immédiate comme par le passé. Le nouveau-né va ressentir la faim, le froid, le manque. Bien sûr, les parents vont intervenir pour subvenir à tous ses besoins, mais dans un temps différé. Le petit être humain va expérimenter la frustration.
Pour obtenir ce dont il a besoin, il va se manifester, faire du bruit, crier, pleurer.
En grandissant, l’enfant pourra continuer à se manifester de la même manière. Pas toujours pour subvenir à ses besoins, d’ailleurs. Il va être dans le "j’ai envie, je veux, je prends et tout de suite".
Quand l’enfant continue à réclamer à corps et à cris pour obtenir ce qu’il désire, cela devient un caprice. L’éducation va consister à le faire réfléchir, à inciter l’enfant à différer la satisfaction de ses désirs, à affronter la frustration.
L’enfant qui a envie puis, qui réclame, qui exige (presque) de ses parents des chaussures qui clignotent est, clairement, dans le caprice. Admettons que les parents refusent de céder à ce caprice, émettent des objections, argumentent. Ils sont clairement dans l’éducation, ils aident leur enfant à réfléchir.
Parfois, l’enfant n’en reste pas là. Il lui arrive de conclure la conversation en disant : « Vous ne voulez pas ? Ce n’est pas grave, je vais demander à mamie, elle dira oui ! ». L’enfant, clairement, utilise la compétition entre adultes pour obtenir ce qu’il veut. Les adultes vont « se battre » pour obtenir l’amour de l’enfant. Cela m’évoque une phrase que j’aime utiliser dans la pratique de la Communication Non Violente : « Les ennuis commencent quand le besoin d’amour est plus fort que le besoin de respect » (auteur inconnu).
Un peu plus tard, à l’adolescence, si la personne est toujours dans la satisfaction immédiate de toutes ses envies, cela peut déboucher sur de la violence, voire de la délinquance : « j’ai envie du dernier objet à la mode, je veux tout de suite, je prends ». On se retrouve alors clairement dans des passages à l’acte : des vols ou sur des trafics en tous genres pour générer de l’argent facile qui permettra de satisfaire tous les caprices.
Ça veut dire quoi « Sortir de l’infantile » ?
« Sortir de l’infantile, c’est accéder à la satisfaction différée. Or, la découverte de la satisfaction différée suppose - au sens propre du terme - l'autorité : une autorité qui n'impose pas la renonciation pure et simple à la pulsion, mais exige qu'on la mette en délibération un moment.
Un moment pour s'interroger avant d'agir, passer l'impulsion au crible de la conscience, suspendre le passage à l'acte afin d'en anticiper mentalement les conséquences possibles sur soi et les autres, faire exister un avenir possible sur lequel la décision d'un sujet peut avoir prise. »
in "La télécommande et l’infantile" de Philippe Meirieu sur pedagopsy.org
A quel âge sort-on de l'infantile?
En fait, il n’y a pas d’âge pour sortir de l’infantile. Certains enfants sont mûrs très tôt. Ils ont appris à réfléchir. Ils ne font pas de caprice. Pour d’autres, ce sera un peu plus tard et pour d’autres encore, cela ne s’arrêtera jamais. Ils ne sortiront jamais de l’infantile. Nous connaissons tous des adultes qui, à 80 ans passés, continuent à assouvir tous leurs caprices. Ils ont envie, ils veulent tout de suite, ils prennent. Ils ne réfléchissent pas. Ils n’ont pas été éduqués à réfléchir.
Et la publicité dans tout ça ?
La publicité nous incite à consommer toujours plus. C’est elle qui nous dit: « Tu as envie, tu veux tout de suite, prends ! Le monde est à toi !». Dès le plus jeune âge, les enfants sont la cible des annonceurs. Bien sûr, ce ne sont pas eux qui achètent. Mais, si l’on n’y prend garde, ils peuvent vite devenir des « prescripteurs ». L’éducation consiste à faire réfléchir nos enfants. Elle les invite à être plus conscients de nos modes de consommation et de nos modes d’interaction sociale, C’est grâce à l’éducation que nous pouvons aider les enfants à surmonter la frustration, les inciter à réfléchir avant d’agir.
Et les enjeux écologiques et sociaux ?
Si l'on considère la satisfaction différée dans le cadre de cette matinée, chacun est invité à réfléchir à l'impact de ses choix de consommation. Il est intéressant de se poser, par exemple, les questions suivantes :
- De quelle boisson vais-je accompagner mon repas ce midi ? Si je renonce au soda, par exemple, je gagne en santé (le sucre peut générer du diabète). Sans oublier que la fabrication de soda consomme d’immense quantité d’eau potable. Qu’est-ce que je fais de la cannette vide ?
- Je peux de la même manière questionner ma consommation de viande : outre le dégagement de méthane par les animaux d’élevage, l’animal absorbe de grandes quantités de nourriture, d’eau et de surfaces agricoles.
- D’autres questions concernent le choix des vêtements : à quel prix, mais aussi quel coût humain, social, environnemental ?
- Ou encore le choix de mon moteur de recherche et de mes outils informatiques. Est-ce que je privilégie les GAFAM (Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft) ? Ou bien, je choisis un moteur et des outils collaboratifs ?
- Quelle est l'utilité d'emprunter un véhicule à moteur pour effectuer un trajet de quelques centaines de mètres ?
En ce qui concerne l'aspect social, de nouvelles pistes sont à explorer. Monsieur Meirieu nous cite son expérience dans un FabLab (version améliorée de nos "repair café"). Il a aussi initié l'opération "requin-rémora" (poisson pilote du requin): Si l'on transpose au système belge, des élèves de 6ème humanité, par exemple, pourraient faire travailler des élèves de quatrième. Il est ressorti de l'expérience française que la démarche profitait plus aux pilotes qu'aux pilotés, qu'ils progressaient mieux et plus vite.
Quel est le lien avec la systémique?
C’est là que la métaphore de l'effet papillon prend tout son sens. Edward Lorenz questionne au cours d’une conférence scientifique en 1972 dont l'intitulé est: « Le battement d'ailes d'un papillon au Brésil peut-il provoquer une tornade au Texas ? ». Il s’intéressait aux prévisions météorologiques. Il est impossible de prévoir la météo à un an. La météo à 5 jours n’est pas spécialement fiable, non plus. Pourquoi ?
Elle est influencée par tellement de facteurs qu’il est impossible de les mettre tous en équation, même avec des ordinateurs ultra-performants. Quand bien même, il serait possible d'intégrer toutes les variables dans le calcul, une virgule vient bousculer les prévisions. Cette virgule, cela pourrait être est le battement d’ailes d'un papillon.
Réfléchir à notre manière de consommer et à notre manière d'interagir avec les autres êtres humains. Agir en conséquence ici, en Europe, a des conséquences directes en Afrique, c'est cela l'effet papillon transposé à l'échelle humaine.
Par exemple:
- Si je décide de garder mon téléphone portable un peu plus longtemps, cela influencera le travail des enfants dans les mines.
- Si, par contre, je veux acheter des vêtements bon marché, j'alimente l'exploitation des femmes dans des usines pourries en Orient.
Pour alimenter cette réflexion, je vous livre ma réflexion personnelle en lien avec cette thématique.
Si une personne initie un nouveau mouvement, qu’elle emprunte une nouvelle voie et qu’elle est suivie par d’autres, un nouveau sillon va être creusé. Quand de plus en plus de gens empruntent ce sillon, celui-ci se transforme en sentier puis en chemin. De nouvelles communautés naissent. Elles ne sont pas toujours en lien géographique, comme par le passé. Internet permet à de nouvelles communautés d’émerger, de créer du lien, d’interagir entre elles sans contact direct.
Leurs grands défis seront ceux de la systémique :
- Regarder la réalité en face: accepter le monde dans lequel nous vivons tel qu'il est, reconnaitre que nous avons énormément de chance de vivre en occident, ouvrir les yeux sur le désastre écologique,...
- Reconnaître ce qui était avant: nos prédécesseurs ont certes épuisé les ressources, pollué l'atmosphère; mais ils ont fait ce qu'il leur semblait juste à ce moment là, en fonction de leurs connaissances, de leurs peurs. Peur de manquer dans l'immédiat après-guerre. Peur de la famine intrinsèque à la race humaine.
- L'appartenance au monde: de plus en plus de petites communautés se créent. L'une tournée vers le véganisme, l'autre vers l'autonomie ou encore vers le spirituel. Le danger de s'isoler et de vivre en dehors du monde est bien réel. Il s'agit là d'une forme d'auto-exclusion qui pourrait entrainer tôt ou tard des désordres.
- L'équilibre entre donner et recevoir est une notion délicate. Un équilibre subtil reste à inventer entre l'ancien monde et le monde en transition.
Je tiens à remercier l’ASBL Kréativa, association d’éducation permanente et centre de recherche pédagogique et méthodologique en développement durable. l’ASBL Éducation et Famille, Présidée par le Professeur Émerite Jean-Pierre Pourtois de l’UMons pour l’organisation de cette matinée qui s’est déroulée au Musée de la Mine et du Développement Durable de Bois-du-Luc à La Louvière.